Les petites îles tropicales sont des territoires fortement exposés aux impacts des événements météo-marins extrêmes et aux conséquences du changement climatique. Ceci est particulièrement vrai pour les îles coralliennes d'atolls, dont la vulnérabilité intrinsèque est alimentée par leur petite taille (<1 km²), leur faible altitude (<5 m) et leurs caractéristiques géomorphologiques (matériaux peu ou pas consolidés, notamment). Ce contexte a favorisé l'émergence d'un intérêt grandissant pour ces espaces à l'échelle mondiale durant les dernières décennies. Depuis 2010, un nombre croissant d'études a adressé la question de l'évolution d'îles des océans Pacifique et Indien. Pour l'heure, le comportement de 709 îles, réparties sur 30 atolls est connu. Les résultats de ces études montrent que près de 89 % (631) de ces îles ont été stables ou ont gagné en superficie et que seuls 11 % (78) se sont contractés sur les dernières décennies.
Cependant, l'effort d'attribution des évolutions s'est essentiellement focalisé sur les facteurs climatiques et océaniques agissant à l'échelle régionale. Seul un nombre limité de ces études a considéré le rôle des facteurs d'évolutions locaux — parmi lesquels figure le facteur anthropique — alors même qu'ils jouent un rôle central dans le contrôle des évolutions morphologiques côtières. Ainsi, cette étude propose d'adresser trois questions. D'abord, quelles ont été les trajectoires d'évolution des îles coralliennes d'atolls sur les dernières décennies ? Ensuite, dans quelles mesures ces trajectoires ont-elles été influencées par les activités anthropiques ? Enfin, comment ces interventions anthropiques contribuent-elles à réduire la capacité d'adaptation naturelle des îles les plus aménagées ?
Pour ce faire, nous avons détecté l'évolution de 156 îles et sections d'îles coralliennes des atolls de Ahe et de Takaroa (archipel des Tuamotu, Polynésie française) en nous appuyant sur un protocole méthodologique couplant l'extraction de données par photo-interprétation assistée par ordinateur (PIAO) et des relevés réalisés sur le terrain. Extraites à partir d'images aériennes anciennes (années 60) et satellites récentes, les données relatives au trait de côte présentent une profondeur temporelle idéale pour détecter les évolutions de long terme. De plus, parce qu'elles reposent sur une approche multi-indicateurs, elles permettent de capturer l'ensemble des évolutions commandées par une dynamique multifactorielle complexe et perpétuelle. À partir de ces données, nous avons d'abord détecté l'évolution de la surface des îles à l'échelle pluridécennale puis, après avoir procédé à une caractérisation fine de la nature des côtes (naturelles / artificielles), de la position du trait de côte et de la largeur des plages des faces océaniques et lagonaires des îles. Par ailleurs, deux missions de terrain ont permis d'affiner les données créées et de caractériser les ouvrages et les aménagements réalisés dans la zone côtière des îles coralliennes. Aussi, des entretiens avec les maires et les habitants ont permis de documenter leurs modalités de mise en place (dates, maitrise d'ouvrage, sources des matériaux...).
Les résultats issus de la détection de l'évolution de la surface des îles coralliennes des atolls de Ahe et de Takaroa sont semblables à ceux des études précédentes5 (Duvat, 2018) : 96 % des îles (150) ont été stables ou ont gagné en surface sur la période d'étude, tandis que 4 % se sont contractés (6). Parmi les facteurs qui influencent le comportement des îles, leur taille initiale joue un rôle central dans l'amplitude des évolutions. Par exemple, les plus petites îles (< 5 ha) ont connu les taux d'évolution les plus significatifs (jusqu'à + 760 % sur la période d'étude). Cependant, bien que l'approche pluridécennale permette d'appréhender le comportement global des systèmes insulaires, elle a pour conséquences de lisser leurs trajectoires d'évolution. Or, ces dernières ne sont ni linéaires ni continues dans l'espace et le temps, mais résultent de la succession de phases d'extension et de contraction de la surface des îles. Parmi les facteurs commandant ces pulsations, on trouve bien sûr les événements météo-marins de forte intensité (cyclones tropicaux, par exemple) et les processus de résilience qui en découlent.
Néanmoins, ces trajectoires non linéaires se rencontrent essentiellement sur les îles les plus naturelles, où l'homme n'a qu'une emprise diffuse. Seules les îles les plus densément peuplées s'inscrivent dans des trajectoires d'évolution atypiques et unidirectionnelles. Ces dernières, où se sont implantés les villages et les grandes infrastructures perlicoles, montrent une extension graduelle de leur surface. Au-delà d'accroitre artificiellement la superficie de ces îles par le remblaiement des eaux peu profondes, l'homme a participé à la rigidification progressive du trait de côte (murs de défense, enrochements...), limitant ainsi les échanges sédimentaires transversaux et de modifiant le transit sédimentaire longitudinal. Aussi, le caractère artificiel des côtes de ces îles limite considérablement la mobilité de la zone côtière.
Bien que ces îles fortement anthropisées montrent un bilan d'évolution positif à l'échelle des dernières décennies (extension), leur capacité d'adaptation et de résilience naturelle face aux événements météo-marins extrêmes et à l'élévation du niveau de la mer se trouve désormais limitée. En effet, le remblaiement et la rigidification de la zone côtière engendrent (1) une segmentation du système sédimentaire par l'interruption des échanges transversaux (îles-récifs), pourtant essentiels au maintien de ces îles dans le futur et (2) un phénomène de compression côtière et de disparition des espaces nécessaires à la sédimentation.
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