Le delta du Danube bénéficie de l'image d'un milieu à forte naturalité. Il est l'archétype de la zone humide naturelle multi-protégée qui passe pour la plus naturelle d'Europe (UNESCO/UICN, 1991). Pourtant, seuls 9 % de la superficie de la réserve biosphère située en Roumanie est classée en réserve intégrale. Les autres parties de la réserve sont en accès contrôlé - 38 % de la superficie est classée en zone tempon – ou bien en zone ouverte - 53 % de la superficie du delta. Une vision manichéenne, post-moderne, fait porter l'essentiel de l'altération du milieu – dont on il est difficile de mesurer l'ampleur - à la seule période communiste (Gastescu, 1996). Cette vision oblitère une anthropisation multi-millénaire et deux siècles et demi d'aménagements intenses. Si la période communiste représente un point de bifurcation dans la trajectoire du delta du Danube en intégrant cette zone marginale au sein du complexe de production intensive, elle s'individualise surtout par son caractère planifié et s'oppose aux aménagements antérieurs qui peuvent être appréhendés par le concept de « bricolage » (Levi-Strauss, 1962) pour rendre compte de l'innovation sociale. C'est « le résultat contingent de toutes les occasions qui se sont présentées de renouveler ou d'enrichir le stock, ou de l'entretenir avec les résidus de constructions et de destructions antérieures ".
A partir du cas du delta du Danube, on interroge la nécessité et le bénéfice des politiques de dé-saménagements/ré-aménagements/renaturation en cours dans le delta en lieu et place d'un ré-ensauvagement spontané lié à la déprise anthropique dans une stratégie de mise en scène à vocation touristique du delta. Si les idéologies passées ont construit les paysages et transformé les écosystèmes, les politiques contemporaines de gestion des zones humides du delta du Danube répondent-elles à une logique scientifique éclairée par l'étude par le temps long, une demande sociale ou bien à une autre idéologie ?